Lundi je reçois un mail de Francis, toute l’équipe du site est convoquée chez le patron, à 2h30 du matin (il faut dire que le chef ne reçoit que de 2h30 a 3h30 parce qu’avant il joue les 2 tournois du soir puis organise les teams les plus courus de BBO et qu’après il dort).

De toute façon quand le chef nous convoque, on ne discute ni le jour ni l’heure.

J’arrive donc à la rédaction, c’est une heure où on se gare facilement, surtout moi à pied.

J’entre dans le bureau, ovale, décoré des photos chères au chef : Lulu la rousse, Pépita et son python piteux et Frem.

Tout le monde est déjà là :

Sergent , pyjama noir à rayures grises, toujours élégant même en charentaises, semble nerveux, il a posé son attaché case sur la table et regarde pensif la photo de Lulu.

Odi, pyjama de soie beige semi transparent porte des mules comme j’en rêve (roses avec un bouquet de petites plumes sur le dessus) se fait les ongles. Ca m’énerve, en plus c’est le chouchou du chef.

Cthulu a l’œil vif et le teint mât , il est le plus frais ; bien sûr, il revient de Guadeloupe où le chef l’a envoyé faire un reportage, c’est pas lui qui se serait « tapé » Felletin ; il est en short blanc avec un tee-shirt orné d’un énorme margouillat.

Le chef m’accueille avec enthousiasme :

- enfin te v’la Wouaf…

Je souris largement mais j’aurais mieux fait d’attendre :

- t’as vu l’heure ?

- oui , chef

- t’as lu quelle heure sur le mail ?

- 2h30

- et il est ?

- 3h15

- j’attends …

- c’est mon GPS, chef , j’ai pas changé les piles

Son regard glacé me rafraîchit les idées et le reste de suite.

Le chef Francis est en costume 3 pièces rouges, cravate jaune et pochette verte. On le respecte pour son talent, sa classe naturelle et sa connaissance des perroquets (on dit que rien qu’à en voir une fiente il vous dit la couleur des plumes du cou)

Il est de la race des décideurs, ceux qu’on suit sans se demander pourquoi, mais plutôt comment.

La tension ne se lit que dans les yeux de Sergent, Cthulu il s’en fout et Odi est, je le rappelle, la chouchoute.

Enfin le chef déchire l’atmosphère épaisse :

   - on est là pour faire le point sur les débuts du site

(ouf je me sens mieux, j’ai bien travaillé et donc m’enfonce dans ma chaise en rotin )

on a eu beaucoup de visites , 3 par jour d’une durée moyenne de 15 minutes, je vous félicite et comme je n’ai pas de temps à perdre, on va passer aux critiques, c’est plus constructif. Je vais le faire par ordre alphabétique vu que j’ai reçu une lettre anonyme m’accusant d’avoir un chouchou.

(ça va vite la poste, même au tarif lent)

- Cthulu on va donc commencer par toi ; je note qu’il n’y a pas eu de roman de l’iguane en 2ème semaine et tu avais oublié de mettre les photos de madame Sawadika…

A ce moment là, je vois Cthulu se pencher et fouiller dans un sac rose et blanc de chez Tati et en ressortir une bouteille de rhum qu’il pose sans un mot sur la table.

- …mais tu es venu de si loin et tu joues si bien au bridge.

Se tournant alors vers Odi, je tente de découvrir ses yeux derrière les lunettes fumées.

- en ce qui te concerne Odi, tout est parfait, tu es bien l’élément féminin qui nous fallait, attention tu mets du dissolvant sur mon dossier… à propos , Karl Kakerfeld a appelé, ta robe sera livrée jeudi.

(bon, le chef a l’air de bonne humeur ; je me tourne alors vers Sergent qui commence à perler du nez ; il n’arrête pas de se passer la main dans les cheveux avec nervosité, il a dû en faire une belle de boulette et a l’air de sentir que sa fête arrive…)

- toi mon fidèle Sergent, j’admire tes choix musicaux, ta page est bien fréquentée et la durée en moyenne, de 4h30 ; c’est de l’excellent travail

(tu m’étonnes !! 212 morceaux des Beatles tu peux en passer du temps sur sa page !)

Je vois alors le chef se tourner brusquement vers moi et je sens à ce moment là que les cendres du volcan ça va être rien à côté de ce qui va me tomber dessus.

- Passons à toi Wouaf, va falloir que ça change ; tu as bien fait 2 interviews ?

- oui chef

- comment ça se fait que j’ai déjà 3 procès ?

- 3 ?

- oui, en premier y a Kart, il dit que ton article est un peu satyrique et sarcastique

(je me marre , je le vois bien écrire satirik et sarkastik)

- ensuite Prohair de Felletin, qui dit que tu n’as pas payé le café…

- et le 3ème, chef ?

- j’y arrive , c’est Oscar..

- quoi, Oscar ? mais je l’ai pas écorché chef, lui. Bon, Kart et Pro je veux bien mais pas Oscar

- c’est pas le problème , Oscar dit qu’il t’a confié des photos de la Creuse , un pont, un restaurant, un monument aux morts , une rivière..

et là, tout me revient : j’ai tout oublié dans la sacoche du vélo de location.

- oh chef, mais c’était pour pas te surcharger, j’ai tout gardé pour une semaine un peu creuse, tu vois ?

A voir son nez se froncer, je comprends que la réponse est non.

- tu te moques Wouaf ?

- c’est bien ce que j’avais compris aussi maître , lance Cthulu que je rêve alors de voir dévoré par son margouillat

- non, patron, Wouaf a parlé sans réfléchir, tente Sergent dont le nez ne perle plus ( il est pas prêt de voir les disques que Brigitte m’a confiés pour lui)

- Francis chéri , sois magnanime, tout le monde sait que Wouaf est chien fou (Odi, si jamais tu laisses tes mules sans cadenas, jamais tu les revois !)

Et là, je sors mon atout :

- chef, je t’ai rapporté un cadeau pour me faire pardonner

- ah bon ? ( je vois le nez se défroncer)

- oui , regardez chef, un joli nonos orange tout beau

Et là j’ai repris l’os sur la tête.

PIMPOMPIMPOM

L’ambulancier a les yeux bleus et l’haleine fraîche, c’est le moment de feindre l’évanouissement… à plus tard